Un article de "Que Choisir" : "Stations de ski : À l’heure des gros défis"

Le 08.12.2021, par BernardB-258


Lecteur de la "new letter" ( article sur l'avenir des stations de ski) je pense que cet article est très intéressant pour les membres du Club Alpin de Bourg en Bresse dont je fait partie.

La diffusion de son article sur le site est autorisée par son auteur Cyril Brosset.

 

Stations de ski À l’heure des gros défis

Publié le : 18/11/2021 dans la revue "Que Choisir"

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Covid, manque de neige, désintérêt des jeunes pour le ski… Les stations de montagne doivent se réinventer, mais leurs actions ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux.

 

En cette fin du mois d’octobre, la station de La Clusaz (Haute-Savoie) s’active. Les agents chargés des pistes vérifient que les remontées mécaniques fonctionnent, les hôtels et les restaurants recrutent leurs saisonniers, les résidences hôtelières se refont une beauté… Après deux hivers perturbés par la fermeture des remontées mécaniques en raison de la crise sanitaire, la commune se prépare à revivre, à l’image des 250 stations de ski françaises. « Avec tout ce qui s’est passé, nous avons un peu de mal à nous projeter sur la saison qui arrive, reconnaît Julien Favre, le directeur d’une école de ski Oxygène. D’un côté, nous avons revu à la baisse le nombre de saisonniers, de l’autre, nous avons renforcé nos équipes à l’année, car nous avons senti qu’il allait falloir fournir de gros efforts pour relancer l’activité. » « Pour l’heure, les réservations sont inférieures de 7 % à celles d’il y a deux ans, et nous avons encore quelques incertitudes sur la présence des Américains et des Britanniques, mais nous sommes confiants sur le fait que les skieurs seront nombreux à dévaler les pistes cet hiver », rassure Jean-Marc Silva, le directeur général de France Montagnes, un organisme chargé de faire la promotion des stations.

LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE, MENACE NUMÉRO 1

La nouvelle saison s’annonce sous de bons auspices, mais les stations n’ont pas fini de se poser des questions sur leur avenir. Il faut dire que les défis sont nombreux : les jeunes ont tendance à se désintéresser du ski alpin, la concurrence des destinations étrangères ou ensoleillées est toujours plus féroce et les critiques sur l’impact écologique des activités de montagne s’intensifient. Toutefois, le réchauffement climatique représente la plus grande menace. Si, depuis 1900, les températures ont augmenté de 1,5 degré à l’échelle de la planète, elles ont grimpé de 2,3 degrés dans les Alpes ! « Pendant les 10 années où j’ai été gardien de refuge, j’ai vu les glaciers fondre et des pans de montagne s’écrouler sous l’effet de la hausse des températures, témoigne Frédi Meignan, le président de l’association Mountain Wilderness, organisatrice des états généraux de la transition du tourisme en montagne, en septembre dernier. On ne peut plus nier ce phénomène. » Des stations ont déjà dû écourter leurs saisons d’hiver, voire stopper des activités de glisse faute de neige. Certaines ont même mis à l’arrêt des télésièges dont les pylônes étaient fragilisés par le dégel du permafrost. Et le futur n’a rien de réjouissant : selon les climatologues, la température pourrait encore augmenter de 4 à 5 degrés dans les Alpes d’ici à la fin du siècle.

Après avoir longtemps refusé de regarder la réalité en face, les professionnels de la montagne semblent enfin prendre le sujet à bras-le-corps. « Dans ma commune, 15 pylônes ont été démontés grâce au remplacement de trois remontées mécaniques par un télésiège. Les dameuses ont été équipées d’appareils capables de mesurer la hauteur de neige de manière à ne produire que la quantité nécessaire, des parkings ont été recouverts de panneaux photovoltaïques. Et certains de nos bâtiments sont chauffés avec des granulés fabriqués sur place à partir du bois de nos forêts, s’enthousiasme Pierre Vollaire, maire des Orres (Hautes-Alpes) et vice-président de l’Association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM). Cela fait longtemps que les sujets liés à la protection de l’environnement sont pris en compte par les élus, mais désormais, ils sont au coeur de leur réflexion. »

LA NEIGE VA DEVENIR RARE À MOINS DE 1 800 MÈTRES

De fait, un peu partout, les actions se multiplient : rénovation de bâtiments aux dernières normes environnementales, signature de plans de gestion de la ressource en eau, installation de télésièges moins énergivores, recherches pour limiter la consommation d’énergie des dameuses, restaurants s’approvisionnant auprès de producteurs locaux, etc. Quant au transport routier, qui représente plus de la moitié du CO2 émis par le tourisme de montagne, il fait l’objet d’une attention toute particulière, avec la mise en place de navettes électriques gratuites dans les stations ou encore la construction d’« ascenseurs valléens », des funiculaires ou des télécabines destinés à acheminer touristes, travailleurs et habitants des vallées au coeur des stations.

Si elles vont dans le bon sens, il semble pourtant que ces initiatives ne sont pas à la hauteur des enjeux. « On estime que dans les décennies qui viennent, la limite pluie-neige pourrait s’élever de 900 mètres, indiquait le glaciologue Thierry Lebel lors d’une conférence organisée par le collectif France Nature Environnement de Haute-Savoie. Dans les stations les plus hautes, on devrait pouvoir skier encore longtemps, même si les chutes de neige seront certainement plus irrégulières et concentrées sur de plus courtes périodes. En revanche, les pistes situées à moins de 1 800 mètres d’altitude risquent, à plus ou moins long terme, de ne plus avoir suffisamment de neige pour assurer la rentabilité de leurs remontées mécaniques. » « Nous continuerons à attirer les touristes l’été et à promouvoir la culture locale comme nous le faisons depuis longtemps, mais notre économie restera encore longuement basée sur le ski alpin », confirme Mylène Agnelli, la maire d’Isola (Alpes-Maritimes), dont les pistes ne descendent jamais sous les 2 000 mètres d’altitude. Dans le même temps, certaines stations de moyenne montagne ont déjà acté la fin du ski alpin à un horizon de 10-15 ans, à l’image de Métabief (Jura). « Nous avons commencé à nous pencher sérieusement sur ce sujet en 2016, quand nous avons réfléchi à l’opportunité de remplacer quatre télésièges vieillissants. Il nous est apparu que le retour sur investissement d’un tel équipement était bien trop aléatoire au vu des prévisions d’enneigement, se souvient Olivier Erard, chargé de la transition à la mairie. Au terme de nombreuses études et d’une grande concertation, il a été décidé de maintenir aussi longtemps que possible l’activité ski alpin dans des conditions techniques et économiques raisonnables, mais de ne plus relancer de gros investissements. Parallèlement, nous nous donnons 10 ans pour nous adapter à l’après-ski. Un plan plus précis devrait voir le jour d’ici à deux ou trois ans. »

L’ACTIVITÉ QUI SUCCÉDERA AU SKI N’EST PAS TROUVÉE

Reste à savoir ce qui pourra remplacer le ski alpin. Toutes les stations ont commencé à diversifier leur offre hivernale, en développant notamment le ski de randonnée et la raquette, mais également des activités plus ludiques comme les descentes en luge, en trottinette ou sur de grosses bouées gonflables (tubing). Certaines proposent même de faire des balades en fatbike, un vélo capable de rouler sur la neige, ou bien en moto électrique. Toutes aussi cherchent à attirer les touristes en dehors des périodes froides, notamment l’été, grâce au VTT de descente, à la randonnée, au vélo électrique ou à la luge quatre saisons. « Ces activités commencent à trouver leur public, mais elles sont encore très loin de générer autant de revenus que le ski alpin, alerte Pierre Vollaire. Il va falloir mettre au point un nouveau modèle économique qui, pour l’instant, n’existe pas. » « Le problème, c’est que les stations ne sont pas prêtes à se passer de la manne financière que représente le ski alpin, déplore Valérie Paumier, de l’association Résilience Montagne. Les sociétés de remontées mécaniques, les écoles de ski et les promoteurs immobiliers mettent une telle pression pour qu’il y ait de la neige partout et tout le temps que les maires préfèrent investir dans de nouveaux canons à neige plutôt que d’inciter les touristes à pratiquer d’autres activités. »

Entre les partisans d’une transition écologique rapide et ceux qui entendent bien profiter jusqu’au bout du gain que représente le ski alpin, les divergences sont grandes. En cette période charnière, les touristes ont leur rôle à jouer. En privilégiant les stations les plus vertueuses et en optant pour des activités respectueuses de l’environnement, ils influeront sur l’avenir de la montagne. Quant à ceux qui voudront continuer à dévaler les pistes enneigées, ils pourront encore le faire longtemps, mais à quel prix ! « Pour réussir à attirer les clients, les professionnels vont devoir proposer des prestations de meilleure qualité, fournies par du personnel hautement qualifié. Cela passe par une formation améliorée, des salaires corrects et des logements décents. Tout cela a un coût. Et si l’on y ajoute les retards de charge, la baisse du nombre de clients et l’accroissement de la concurrence, on n’échappera pas à une hausse des prix, prédit Julien Favre. Il y a fort à parier qu’à l’avenir, le ski alpin sera encore un peu moins populaire qu’avant. »

On fait le point

250 stations de ski en France, dont 12 qui s’approprient la moitié du chiffre d’affaires global.
7 milliards d’euros de chiffre d’affaires produits chaque année par le ski alpin.
5 % de la population pratique le ski alpin.
X 7 Un euro dépensé dans les remontées mécaniques génère sept euros de retombées économiques sur le territoire.

Et si vous abordiez la montagne autrement ?

Face à l’avenir incertain des stations, les touristes ont leur rôle à jouer. Il serait peut-être temps d’envisager les sports d’hiver de manière plus responsable.

Privilégiez les transports en commun. Plutôt que la voiture, prenez le train. Vous éviterez de vous retrouver bloqué des heures sur l’autoroute et vous limiterez considérablement vos émissions de CO2, très problématiques dans les vallées. Des cars vous achemineront ensuite de la gare jusqu’à la station.

Optez pour une station écoresponsable. Même s’ils ne garantissent pas de skier sans polluer, des labels soulignent les efforts des stations en matière de protection de l’environnement. Le Flocon vert, décerné par l’association Mountain Riders, garantit, par exemple, la mise en place d’une gestion raisonnée des ressources et des déchets, de moyens de transport peu polluants ou encore d’actions visant à sensibiliser la population. La certification Green Globe valorise les professionnels du tourisme ayant une attitude écoresponsable et sociale. Enfin, le trophée Cîmes durables récompense les stations menant à bien des projets positifs pour leur environnement.

Limitez votre impact. Pensez à la seconde main au moment de vous équiper. En station, privilégiez les navettes, consommez des produits locaux, louez du matériel fabriqué de manière écoresponsable et, dans votre logement, prenez garde à ne pas gaspiller l’eau ni l’énergie.

Choisissez des activités adaptées. Ne cherchez pas à faire du ski à tout prix. Profitez du manque de neige pour découvrir d’autres loisirs (randonnées, luge, visites culturelles, etc.). Et, en cas de mauvais temps, il n’y a rien de mieux qu’une raclette et un vin chaud !

Reportage : À La Clusaz, le projet de retenue collinaire divise

La mairie de La Clusaz veut créer une nouvelle retenue d’eau. Elle alimentera les habitants de la commune mais aussi les canons à neige. Les défenseurs de l’environnement sont contre.

Une vingtaine de minutes de marche depuis le col de la Croix Fry suffisent pour atteindre le bois de la Colombière. C’est là, à 1 500 mètres d’altitude, au milieu de grands épicéas, que la mairie de La Clusaz (Haute-Savoie) envisage de créer une nouvelle retenue collinaire, la cinquième sur son territoire. À terme, ce bassin permettra de stocker 150 000 md’eau, dont un tiers alimentera la commune en eau potable et le reste servira à produire de la neige de culture. Outre le creusement du bassin, le projet comprend l’édification d’une digue de 12 mètres, le déploiement d’un réseau de canalisations pour récupérer l’eau et la distribuer, et la construction d’une usine pour la rendre potable. Lancée il y a cinq ans par la précédente équipe municipale, l’opération n’est absolument pas du goût de plusieurs collectifs de défense de l’environnement. « Ce bois abrite une faune et une flore extrêmement riches qui seront irrémédiablement détruites. Cette retenue risque aussi d’avoir un impact négatif sur une tourbière voisine classée en zone Natura 2000. Un tel projet serait une catastrophe écologique, dénonce Sandra Stavo-Debauge, du collectif Fier-Aravis, en arpentant les sentiers humides de la Colombière. Nous avons eu beau présenter des alternatives crédibles, le maire refuse de les étudier. »

Le maire persiste

De son côté, l’édile assure que le choix de l’emplacement résulte de longues expertises. « Je ne nie pas que cette retenue d’eau aura un impact sur l’environnement, reconnaît Didier Thévenet, mais nous avons fait en sorte qu’il soit le plus minime possible. Ce projet est indispensable à notre commune, qui a déjà failli à deux reprises manquer d’eau potable. Qui plus est, une étude de Météo France a conclu qu’en faisant passer notre couverture en neige de culture de 27 à 45 % du domaine, nous assurerons un enneigement suffisant pour les 30 prochaines années, ce qui nous permettra, grâce aux revenus générés par le ski, de financer la transition. »

Le projet de la Colombière n’est pas le seul en son genre. Un peu partout dans les Alpes, des stations veulent creuser des retenues. « La neige de culture est essentielle pour l’avenir des stations, car elle divise par trois le risque lié aux aléas climatiques », souligne Jean-Marc Silva, de France Montagne. « En aucun cas cette retenue n’a pour but d’agrandir le domaine skiable », assure le maire de La Clusaz, qui dit avoir refusé l’implantation d’un Club Med sur sa commune. « Vu les projets de liaisons avec les stations voisines et les complexes immobiliers qui devraient bientôt sortir de terre, il y a de quoi en douter, se désole Sandra Stavo-Debauge. Ces retenues serviront surtout à alimenter les piscines et les spas des futures résidences, de même qu’à produire de la neige là où il n’y en a pas encore. Le but : faire tourner les remontées mécaniques et, par là même, satisfaire les promoteurs immobiliers, qui promettent à leurs clients qu’ils chausseront les skis au pied de leur logement. » Malgré les très nombreux avis négatifs exprimés lors de l’enquête publique, le préfet de Haute-Savoie a émis un avis favorable au projet. Les premiers coups de pelleteuse pourraient intervenir rapidement. À moins que les collectifs ne lancent des recours devant la justice, voire mènent des actions sur le terrain. 

Cyril Brosset  Contacter l’auteur(e) cyrilbrosset